Mathias DUBREUIL / Maï GLEVAREC
1997 - 1998
Maîtrise Biologie des populations et des écosystèmes
Travail d'étude et de recherche
Suite à la publication de ce mémoire sur internet, j'ai reçu
INTRODUCTION
1. VIE SOCIALE DU CHIEN
1.1. Etapes du développement du chiot
1.1.1. Période néonatale
1.1.2. Période de transition
1.1.3. Période de socialisation
1.1.4. Puberté
1.1.5. Troubles apparaissant durant l’enfance ou l’adolescence
1.2. Vie en meute
1.2.1. Hiérarchie sociale
1.2.2. Communication
1.2.3. Occupation de l’espace
2. SYMPTOMES DES SOCIOPATHIES
2.1. Facteurs déclenchant des sociopathies
2.2. Comportements centripètes
2.2.1. Comportements alimentaires
2.2.2. Comportements d'élimination
2.2.3. Couchage
2.3. Comportements centrifuges
2.3.1. Comportements agressifs
2.3.2. Comportements exploratoires
2.4. Comportements mixtes
2.4.1. Comportements sexuels
2.4.2. Comportement maternel
3. EVOLUTION ET THERAPIES
3.1. Evolution
3.2. Thérapies
3.2.1. Thérapies comportementales
3.2.2. Thérapies chimiques ou chimiothérapies
3.3. Entretien en consultation vétérinaire
3.4. Etude d’un cas clinique
3.4.1. Observations directes
3.4.2. Entretien avec les propriétaires (la mère
et sa fille)
3.4.3. Diagnostic
3.4.4. Pronostic
3.4.5. Traitement
3.4.6. Discussion
CONCLUSION
Références bibliographiques
L’éthologie, ou étude des moeurs des animaux, n’est prise en compte que depuis peu en pratique vétérinaire canine. Or, de nombreux propriétaires emmènent leur chien en consultation pour des problèmes comportementaux tels que les agressions ou les déprédations. Le chien (Canis familiaris), bien que domestiqué depuis longtemps (13000 ans environ), a conservé de nombreux comportements identiques à ceux de son proche cousin le loup (Canis lupus).
Les bases biologiques du comportement sont en partie héréditaires mais l’environnement et l’apprentissage interviennent aussi de façon considérable. On distingue différents types de comportement et chacun se subdivise en séquences qui représentent autant d’unités de base. Le comportement sera défini comme un ensemble de gestes et de postures, accomplis par un individu en réaction à une variation du milieu extérieur ou intérieur (Petit Larousse, 1991).
L’analyse du comportement doit tenir compte du développement comportemental du chiot, au cours duquel les phases de formation et de communication sont essentielles à la socialisation, c’est-à-dire à l’apprentissage des relations sociales entre chiens et humains. Toute perturbation durant la phase de socialisation aura des conséquences graves, et des troubles comportementaux apparaîtront chez les animaux dont le développement social aura été appauvri ou perturbé.
Actuellement le chien occupe une place considérable dans la famille occidentale. Certains de ses comportements sont considérés comme gênants par leurs maîtres. Mais peut-on à ce niveau parler de pathologie du comportement ? On considère comme pathologique tout comportement qui ne remplit pas sa fonction "normale" (biologique), c’est-à-dire adapter l’animal à son milieu. Parmi les troubles du comportement du chien, on trouve les sociopathies qui s’expriment chez le chien adulte qui a été correctement socialisé. Un tel chien a grandi dans un environnement riche en stimuli et a appris les différentes règles de la vie de groupe (hiérarchie...). Ces pathologies sont les conséquences d’une structure sociale déséquilibrée au sein de laquelle les rapports de dominance se manifestent de façon ambiguë. En effet, les hommes sont assimilés par les chiens à des membres de leur meute et doivent donc avoir une position hiérarchique définie par rapport à leur animal. Si ce dernier n’est pas soumis à tous les membres de la famille, alors son statut sera remis en cause et il voudra conserver son rang de dominant en utilisant des comportements agressifs. Ces comportements ne permettant pas d’adapter pleinement l’animal à son milieu (la famille), ils seront considérés comme pathologiques.
Au cours de notre travail sur les sociopathies canines dans les groupes
homme-chien, nous essaieront de rappeler les notions concernant le comportement
social du chien, puis les symptômes des sociopathies et enfin les
évolutions et les thérapies des sociopathies.
Le développement comportemental évolue principalement en 3 périodes qui se chevauchent, chacune rapportée à un système particulier : le système neurovégétatif (1 à 7 semaines), le système émotionnel (3 à 12 semaines), le système cognitif (5 semaines à 12 mois environ) (Rossignol, 1994). Chaque période présente de nombreux risques de "dérapages" pouvant conduire à des problèmes dans les relations intraspécifiques ou interspécifiques (homme-chien).
L’ontogenèse du comportement dépend notamment de la confrontation de l’individu avec des situations stimulantes adéquates pendant son jeune âge. L’individu est ainsi tributaire de l’influence de son environnement durant la première année de sa vie, afin que son comportement se déroule normalement.
Durant cette période du développement, il y a maturation du système nerveux avec notamment une myélinisation antéro-postérieure des nerfs (Rossignol, 1994). Ceci explique que les pattes antérieures soient fonctionnelles avant les postérieures. Pendant ces deux premières semaines, les stimuli vont déclencher des réponses courtes de type réflexe.
Les réflexes primaires constatés chez le chiot dès sa naissance sont les suivants :
Durant cette période, les chiots commencent à explorer les alentours du nid. Leur mode exploratoire est alors essentiellement gustatif. Ils commencent à grogner et à aboyer.
A l’âge de 6-8 semaines, le chiot est en pleine phase d’imprégnation : tout ce qu’il voit, perçoit et apprend est marqué en lui comme une empreinte. Il pourra reconnaître sa propre espèce et se socialiser à celles qu’il côtoie. Ceci est d’autant plus important que c’est à cet âge que les chiots sont adoptés par une famille humaine.
Cette période comprend deux événements importants :
Figure 1 : Attraction sociale, socialisation et peur
(d’après Fox cité par Chanton, 1991)
La phase d’attraction (figure 1) montre l’interaction du chiot avec le milieu extérieur. Le chiot est attiré par tout ce qui bouge, qu’il s’agisse d’individus de son espèce ou d’une autre quelle qu’elle soit. A ce moment, le chiot apprend et mémorise les caractères spécifiques et non individuels.
La phase d’aversion (recul, fuite et peur) débute dès la cinquième semaine. Le chevauchement de ces deux phases correspond à la phase sensible.
Vers la quatrième semaine, les chiots vont commencer à jouer. Ces jeux conditionneront leurs attitudes futures. Ceux-ci et l’exploration des alentours, permettront de développer et d’organiser des réponses comportementales. Des actes vont être associés, articulés, pour composer la structure fonctionnelle élaborée qu’est la séquence comportementale. L’acquisition du "signal d’arrêt" d’un comportement semble l’un des événements majeurs de la période de socialisation : le chiot va acquérir la capacité d’interrompre le combat en fonction des signaux extérieurs (cris du partenaire, grognements de la mère). Ainsi, lors de l’apprentissage de la "morsure inhibée", le chiot mordu crie, pour faire lâcher prise à l’autre ; la mère sanctionne alors le chiot mordeur, lui apprenant ainsi à contrôler l’intensité de sa morsure.
Vers 5-6 semaines, le jeu s’intensifie, et les chiots testent les différentes attitudes corporelles caractéristiques de l’adulte. C’est ainsi qu’ils découvrent au cours des combats simulés, les attitudes de dominance et de soumission, indispensables à la communication intraspécifique normale. Ainsi, le chiot va passer d’un attachement de la mère, au groupe social.
Toutes les observations concordent pour considérer la 7ème semaine comme une période très importante dans le développement social du chiot. A ce moment se trouvent réunies les conditions idéales pour aborder la seconde partie de la socialisation, dite inter-spécifique. A cet âge, le chiot peut identifier une autre espèce et apprendre à communiquer avec elle. Le chien adulte évitera le contact avec les espèces qu’il n’aura pas connues durant cette période.
Figure 2 : Hiérarchie dans une meute de loups (d’après Giffroy, 1987)
Lien de dominance stricteL’organisation hiérarchique est très stable et est maintenue par de nombreuses interactions (compétition, coopération) entre les membres de la meute. On trouve ces deux relations exacerbées dans la hiérarchie de domination des loups.
Lien de dominance
(interactions agressives rares)
Un des aspects les plus intéressants de cette hiérarchie est son impact sur les individus. En effet, l’existence individuelle est structurée par l’ensemble de cette organisation sociale globale. Ainsi, les combats sont rares et sont remplacés par un large éventail de communication préventive. Les postures de dominance et de soumission, rappelant la position des intervenants, contribuent à une intégration sociale harmonieuse. La subordination (ordre établi entre les individus) permet donc la stabilisation et la formalisation des relations de compétition.
Le comportement de soumission est un des facteurs essentiels à cette harmonie. Lorenz (cité par Le Frapper, 1993) a spécifié que ce comportement est en fait une attitude de non agression rituelle très réglée. La ritualisation est un comportement initial transformé en outil de signalisation. Ainsi, l’animal soumis éloigne ses facultés offensives, voire ne regarde même pas son adversaire. La soumission est donc un effort d’intégration sociale. Son rôle stabilisateur suppose un feed-back réciproque des partenaires : elle ne peut se développer chez l’inférieur que si le supérieur montre de la tolérance. Si le supérieur n’est pas tolérant, et qu’il menace l’inférieur, ce dernier tentera de fuir ou de se défendre, et présentera tous les signes du stress social.
La dominance prend deux aspects dans la meute : le leadership et le privilège. Dans les situations de compétition, la domination prend la forme d’un privilège, car le dominant réclame ce qu’il désire, et l’obtient. Le leadership est aussi spécifique du mâle alpha. Chaque loup peut intervenir lors de situations calmes (le jeu par exemple). En revanche, seul le leader aura l’initiative des actions plus importantes telles que la chasse ou la défense du territoire. Pour assurer la stabilité du groupe, le leader doit obtenir l’allégeance de tous ses membres. Celle-ci est obtenue par des interactions entre le dominant et les différents membres du groupe. Ces derniers dépendent du leader pour la direction de la meute.
Ainsi, dans cette structure hautement organisée, les règles interactives de procédure maintiennent sa stabilité, tout en permettant son renouvellement. Ceci suppose des changements réglés dans les liens entre les individus au sein de la structure sociale. Pour préserver son statut, un loup doit donc constamment affirmer sa position hiérarchique. Si la société est perturbée, alors de fortes compétitions et conflits ont lieu en guise d’affirmation du statut. Il existe donc une zone de flexibilité rigoureusement limitée. Grâce à cette fluctuation des relations dans le groupe la hiérarchie est maintenue. Il faut un nombre minimum d’individus pour que la hiérarchie soit assez rigide et donc que la meute soit stable. A l’inverse, plus grand sera le groupe, plus grande sera la compétition pour la nourriture, la reproduction, le leadership, ou la domination. De ce fait, il semble que cette compétition sociale soit la limitante majeure à l’extension du groupe.
Les conditions de vie du chien domestique (Canis familiaris) ne lui permettent pas de former des meutes d’une taille suffisante pour constituer un système hiérarchique aussi complexe que celui du loup (Chanton, 1991). Néanmoins, on observe dans de nombreuses circonstances une tendance à mettre en oeuvre une hiérarchie comparable. La domestication ayant modifié les stimuli sociaux, les signaux exprimant la dominance et la soumission sont similaires chez le loup et le chien, bien que présentant différentes modifications. Une hiérarchie s’installe normalement entre l’homme et son chien, et ce dernier doit être soumis à son maître représentant l’individu alpha, ainsi qu’aux différents membres de la famille.
La communication visuelle est la principale forme de communication hiérarchique (Giffroy, 1987). Elle comprend les postures corporelles, les mimiques faciales, et les activités gestuelles. Toute une série d’organes ou de régions du corps interviennent : la tête, les oreilles, le regard, la queue... Tous ces éléments peuvent servir de signal visuel à tel point qu’il a été établi une "anatomie sociale" du chien.
La communication posturale a une importance toute particulière en ce qui concerne la mise en place des rapports dominant/dominé, et permet d’éviter de nombreux combats. Il est important de connaître les signaux exprimant la dominance et la soumission chez le chien, de même que les gestes et attitudes par lesquels l’homme peut affirmer sa dominance par rapport au chien. Ainsi, un chien dominant adoptera classiquement une posture dressée, la queue au dessus de l’horizontale et les oreilles droites. En revanche, un individu soumis aura les membres rapprochés, légèrement fléchis, la queue entre les pattes postérieures et les oreilles couchées à l’arrière. Ceci est représenté sur le schéma suivant :
Figure 3 : Soumission chez le chien (Chanton, 1991)
Parmi les signaux visuels, figurent un certain nombre de comportements ritualisés. Par exemple, un chien peut apprendre que certains comportements qu’il présente lorsqu’il est malade entraîne un regain d’attention de la part du maître. Ces comportements peuvent alors devenir des signaux de demande de soin par ritualisation.
La communication olfactive est elle aussi importante. Elle intervient grâce aux phéromones contenues dans l’urine et les selles. Ces émissions sont renforcées par des signaux visuels, par exemple le chien qui lève la patte pour uriner. Cette posture à elle seule va stimuler l’observateur, qui vient immédiatement humer, et répond en urinant au même endroit. L’emplacement du message, tel que la hauteur où l’urine est émise, semble aussi jouer un rôle important. La communication sonore contribue aussi à la cohésion du groupe de par son caractère d’échange à distance.
Le territoire est la portion du domaine dans laquelle le ou les habitants s’opposent par des comportements agonistiques ou par des signaux (urine, fèces, chants, phéromones...) à l’intrusion de tout individu de la même espèce. Un comportement agonistique est un comportement qui permet de résoudre un conflit avec un autre animal. Il peut prendre différentes formes : la menace, la fuite, le combat, le retrait, ou une attitude d’apaisement ou de soumission.
Wasser et Willey (cités par Pageat, 1990) ont substitué la notion de champ territorial a celle de territoire. En effet, le territoire est décrit dans le cas d’espèces solitaires et les champs territoriaux sont plus adaptés pour décrire l'occupation de l'espace par des animaux vivant en meute. Ils permettent une part de variation individuelle tout en conservant un territoire global pour la meute.
On distingue trois types de champs :
Figure 4 : Situation idéale de répartition des différents champs
entre le propriétaire et son chien (d’après Pageat, 1990)
Il est important de pouvoir communiquer avec son chien. Or les hommes possèdent une particularité dans l’art de la communication : le langage. Le chien n’y ayant pas accès, il est nécessaire de s’adapter à son mode de communication, et de connaître les signaux exprimant la dominance et la soumission, ainsi que les gestes et attitudes par lesquelles l’homme peut se positionner en tant que dominant par rapport à son chien. Une fois la communication homme-chien comprise, les réponses de l’animal doivent être renforcées de façon positive ou négative, c’est à dire récompensées ou punies.
Les sociopathies sont des états pathologiques de l’adulte dans lesquels l’organisation du groupe social est altérée par des fluctuations des repères hiérarchiques. Elles ne sont pas imputables au chien seul, et sont en fait la manifestation d’un dysfonctionnement de la communication. Il importe donc de rétablir une communication correcte entre l’homme et l’animal, basée sur une meilleure connaissance du comportement social "normal" du chien.
On observe que le chien est très proche de l’homme (les animaux ont accès à toutes les pièces de l’habitation, certains dorment dans la chambre ou dans le lit des propriétaires, ils mangent à leur table...). Une conséquence de cette proximité, est que certains sujets deviennent trop attachés et trop dépendants de l’homme. L’animal de compagnie bénéficie souvent d’un statut d’être humain (l’image que beaucoup se font de leur animal est une image anthropomorphique : ils lui attribuent des pensées, des intentions, des capacités et des raisonnements humains...) (Paolino, 1990). Tout cela s’accompagne d’une insuffisance d’informations sur les conséquences possibles de pareilles attitudes : au lieu de punir, on cherche à "raisonner" ; plutôt que de dominer, on tente de "calmer" l’animal, en s’imaginant "négocier" ainsi une entente. Or, l’animal interprète les attitudes humaines selon ses propres schémas et peut les considérer comme autant de démissions ou de soumissions. L’homme, certain de s’être exprimé clairement, aura facilement tendance à sanctionner le chien si la conduite de celui-ci tend à lui démontrer qu’il refuse d’obéir. Le chien n’aura pas compris mais il utilisera un rituel de soumission adapté à l’attitude menaçante de l’homme. Un des rôles du rituel en tant que système de communication est d’aboutir à la diminution du caractère ambigu d’une situation. De nombreux conflits trouvent leur origine dans l’interprétation erronée de l’expression des rituels. Le cas le plus fréquent est sans doute celui du propriétaire confondant un rituel de soumission avec un sentiment de culpabilité chez le chien (Muller, 1995). Ainsi s’installe les malentendus dans la communication et l’éducation, et des erreurs de position hiérarchique, dont les conséquences peuvent être graves. L’agressivité de dominance a pour origine une méconnaissance de la hiérarchie au sein de laquelle le chien cherche à trouver sa place. Elle est souvent facilitée par une trop grande tolérance des maîtres.
Dès son acquisition, le chiot doit être placé au bas de la hiérarchie familiale. Il devra être remis à sa place à chaque tentative de dominance.
Ces comportements ont trait à la vie sociale, et permettent de situer la position hiérarchique du chien telle qu’il la perçoit.
Dans une famille, le repas du chien et de ses maîtres sera le reflet, comme dans une meute sauvage, du statut de l'animal. Dans un cas classique de sociopathie, le chien mange juste avant ses maîtres. En présence de celui-ci, la motivation du chien augmente et sa vitesse d'ingestion diminue. Il lève régulièrement la tête de sa gamelle et regarde autour de lui ; il est décrit comme étant un chien qui "déguste". Il grogne si on essaye d'approcher sa gamelle. De plus, ce chien quémande régulièrement de la nourriture pendant le repas des maîtres, grognant s'il n'obtient pas ce qu'il désire. Il appuie ses demandes en présentant différentes postures, par exemple une patte posée sur la cuisse des personnes attablées. S'il arrive à ses fins, le chien interprète cette action de manière à renforcer sa position de dominance. En effet, il peut avec succès interrompre le repas de ses maîtres, concession hiérarchique très importante. Pour positionner le chien en tant que soumis, il est préférable de limiter la durée de son repas à une dizaine de minutes et dans un lieu où personne ne le regarde et à un moment de la journée différent du repas des maîtres (de préférence juste après). Ainsi, le chien soumis mange rapidement et en cachette, s'interrompant si le maître pénètre dans la pièce. Il est décrit comme un "glouton". S'il tente d'interrompre le repas de ses maîtres, il est sévèrement réprimandé. Il semble que l'éducation du chien de campagne soit la mieux appropriée, le chien se nourrissant des restes du repas des maîtres.
Le chien domestique utilise de tels signaux lors de la miction (figure 5)
Figure 5 : Les différentes postures d’élimination d’urine chez le chien en fonction du sexe et de la signification sociale (Dramard et Hannier, 1997)
Chez le dominé il n'y a pas d'utilisation de déjections pour le marquage du territoire, ce rôle étant laissé au chef de meute.
Il s'agit de comportements déclenchés lors de compétition hiérarchique, c’est à dire lorsque la position sociale d'un individu est remise en cause par un subordonné. Dans les groupes homme-chien, ce type d’agression se manifeste dans trois cas : lorsque le maître émet un signal de dominance et force le chien à adopter une attitude de soumission, lorsque le chien émet une attitude de dominance et que l’homme ne répond pas à la manière d’un soumis, et lorsqu’il y a compétition entre l’homme et le chien. La séquence de la phase d’agression se déroule comme suit chez le chien se considérant comme dominant.
On trouve dans un premier temps une phase d'intimidation où le chien présente une piloérection, les oreilles et la queue dressées, les membres raides, les babines retroussées découvrant les crocs. Le chien émet de plus des grognements. Toutes les productions sonores et gestuelles ont pour but d’intimider suffisamment l’adversaire afin d’obtenir sa soumission, ce qui aura pour conséquence directe d’éviter le passage à l’acte.
Figure 6 : Posture de menace chez un dominant
(d’après Le Frapper, 1993)
Ce type d'agression est déclenché par la douleur, les privations (faim, soif), les frustrations (punition d’un acte habituellement récompensé), la persistance d'un contact physique après que les signaux d’arrêt de contact aient été émis. La séquence d'agression est ici très caractéristique de la position hiérarchique du chien par rapport à l'agressé. S'il s'agit d'un chien dominant, la morsure suit de très près l'intimidation. Elle est brève et répétée, accompagnée de grondements, et souvent infligée en secouant l'adversaire. La morsure est suivie d'une nouvelle phase de menace. L'apaisement ne survient que lorsque le vaincu s'est retiré plus loin. Le vainqueur vient alors le lécher puis s'en va.
Si l'agresseur est soumis, il a une position couchée, membres repliés, corps légèrement sur le côté, la tête et les oreilles dirigées vers l'arrière, lors de la phase d'intimidation. Les morsures sont multiples, infligées en projetant la tête à plusieurs reprises. Les propriétaires disent que leur chien est "hypocrite", mordant sans "oser" les regarder. La morsure est suivie d'une fuite, la queue entre les pattes postérieures, tout en continuant à grogner. Les maîtres pensent que le chien, pris de remords, part se cacher.
L’agression par irritation se retrouve systématiquement chez les chiens dominants, c'est un symptôme classique des sociopathies.
Cette agression s'effectue lorsqu’il y a une intrusion dans le champ d'isolement (lieu que le chien considère comme son territoire réservé) ou dans le territoire de la meute. Le défenseur vient à l'encontre de l'intrus en aboyant puis en grognant. Il peut aussi gratter le sol avec ses pattes antérieures et uriner en levant la patte (marquage du territoire). Puis, si ces intimidations ne suffisent pas, le chien passera à l'attaque. La réaction du chien dépend beaucoup des réactions de l’intrus et de son attitude face à la menace. La défense du territoire est une réaction naturelle des chiens. Cependant, on peut remarquer que certains chiens de garde sont agressifs car ils ne sont pas socialisés à l’homme, et agresseront alors plus par peur que par défense du territoire.
L'agression territoriale est le plus souvent associée à l’agression hiérarchique. C'est là encore un symptôme classique des sociopathies.
Cette agression s'effectue quand le chien ne peut échapper aux stimuli l'effrayant, que ce soit par la fuite, ou par l'inefficacité d'autres comportements (par exemple une posture de soumission).
Ce type d'agression est très semblable à l'agression territoriale, mais concerne la mère défendant le territoire autour de sa progéniture.
Dans le cadre des sociopathies, l'agression hiérarchique, l'agression par irritation et l'agression territoriale, constituent ce que Pageat (1984) intitule la "triade agressive". Cette triade est symptomatique de ces affections pathologiques.
Lors d'une consultation chez le vétérinaire, il est intéressant de mesurer l'agressivité du chien. Pageat (1990) a mis au point un indice facilement calculable pendant l'entretien avec le propriétaire. Grâce au tableau I on détermine la valeur de chaque variable utilisée afin de calculer les deux indices. Le tableau II montre la valeur moyenne des indices.
Tableau I : Grille d’évaluation de l’agressivité chez le chien
Attitude du propriétaire face au chien | A |
Peur Habitude, renoncement Déception Colère |
4 3 2 3 |
Utilisation du chien | B |
Garde et défense Troupeau Compagnie Elevage, beauté Chasse |
3 2 2 2 2 |
Fréquence des manifestations agressives | C |
Quotidiennes Hebdomadaires Mensuelles Très espacées Jamais |
5 4 3 2 1 |
Sexe | D |
Mâle Mâle castré Femelle Femelle castrée |
2 3 2 3 |
Age du chien | E |
<1 an 1 an < < 5 ans >5 ans |
1 3 5 |
Description de la morsure | F |
Le chien tient Il lâche mais reste menaçant Il lâche et s’en va calmement Il lâche et court se cacher |
3 5 4 1 |
Réaction après la riposte du maître | G |
Le chien se défend Il se laisse corriger Il cherche à fuir |
4 1 2 |
Domaine fréquenté par le chien | H |
Toute la maison Toutes les pièces sauf la chambre des parents Toutes le pièces sauf les chambres Limité à peu de pièces |
4 3 2 2 |
Indice d’agressivité globale :
Indice d’agressivité sociale :
Tableau II : Valeurs des indices d’agressivité en situation normale
Iag | Iag | ||
0 à 1 an | mâle | 25 à 35 | 10 à 12 |
femelle | 20 à 25 | 8 à 10 | |
à 5 ans | mâle | 20 à 25 | 10 |
femelle | 30 à 45 | 10 à 12 | |
> à 5 ans | mâle | 30 à 45 | 12 à 18 |
femelle | 30 à 40 | 10 à 12 |
Nous avons vu le cas d’un homme qui se trouvait dans une situation de rivalité permanente avec son chien. Effrayé par les postures d’intimidation de l’animal, le maître a cédé un certain nombre de fois sur des sujets qui ne lui paraissaient pas nécessiter le risque d’être mordu. Il reconnaissait ainsi de façon implicite la dominance du chien pour qui il n’y avait plus de limites. C’est lorsque le comportement de l’animal est devenu trop gênant, et en particulier lorsqu’il a prétendu défendre son droit de propriété sur le centre du territoire (la chambre à coucher) et sur la femelle qui s’y trouvait (sa propriétaire) que le conflit à éclaté. Le chien étant trop fort pour qu’on le rejette, il s’est mis à mordre à tout propos.
Les femelles dominées présentent un défaut d’attachement évident pendant les premiers jours. En présence d’une femelle dominante (chienne ou femme), elles n’approchent leurs propres chiots qu’en émettant des signaux d’apaisement à l’adresse de ces autres femelles. Si une femelle de rang supérieur met bas (chienne ou femme), les femelles dominées auront tendance à développer des comportements de maternage, éventuellement associés à une lactation (pseudocyèse). Les chiennes dominantes sociopathes montrent une hypervigilance autour des chiots, et agressent les femmes de la maison qui s’approchent. Ces chiennes peuvent aussi ne pas présenter de comportement de maternage, et avoir peu de lait.
La figure suivante représente la répartition des différents champs (d’activité, d’isolement et d’agressivité) dans le cas d’une sociopathie.
Figure 7 : Répartition des différents champs territoriaux lors d’une sociopotahie au stade 1 entre le chien et son propriétaire
(d’après Pageat, 1990)
Dans la plupart des cas, le fait d’éduquer l’animal et de lui apprendre le plus grand nombre de comportements possibles (sans nécessairement se soucier de leur utilité) affermit la relation homme-chien, augmente le contrôle du maître et confirme sa dominance. Ces apprentissages se feront le plus tôt possible dans la vie du chien. La fréquentation d’un club canin peut la rendre plus facile.
Le deuxième concept est appelé régression sociale dirigée. Cette méthode a pour but de modifier la façon dont le chien perçoit son statut. Le clinicien va apprendre à la famille comment se comporter dans les différents secteurs de la vie quotidienne qui ont une signification hiérarchique. Les conseils relatifs à cette thérapie ont pour objet de contrarier la dominance de l’animal puis de l’inverser. Le propriétaire doit commencer par marquer la hiérarchie alimentaire, c’est-à-dire que le chien doit manger lorsque ses maîtres ont terminer leur repas. Ensuite ils doivent interdire l’entrée de leur chambre. De même, il faudra toujours lui passer devant, lui interdire de venir accueillir les gens que l’on reçoit et n’accepter aucune posture de dominance.
Ainsi, le système homme-chien peut être modifié. L’animal reprenant une position de soumis ne présente plus d’agression de dominance. Chaque fois qu’il tentera de s’élever dans la hiérarchie familiale, il sera remis à sa place par ses maîtres. Tous les signaux perçus par le chien lui signifient alors son rang social l’amenant à avoir un statut stable non anxiogène.
L’entretien, de type semi-directif, semble le plus adapté (Chanton, 1991). Lors de cet entretien, les propriétaires doivent prendre le temps d’exprimer et de décrire la perturbation des relations qu’ils constatent entre la famille et le chien. Le malade n’est ni le maître ni l’animal mais bien la relation qui les unit : le système. Rappelons qu’un "système" a été défini par Von Bertalanffy (cité par Chanton, 1991) comme un "ensemble d’unités en interactions mutuelles".
Il faut bien comprendre cependant que même lorsque le propriétaire du chien, aidé par l’utilisation d’une de ces méthodes, a réussi à rétablir une situation hiérarchique claire et dénuée d’ambiguïté, il n’en reste pas moins que la stabilité de cette nouvelle structure est relative. Sa pérennité est fonction du maintien permanent des codes et limites mis en place. Nous avons constaté que des propriétaires de chien, ayant parfaitement su rétablir une situation relationnelle convenable pour la famille et l’animal, laissent se dégrader la situation pour différentes raisons (laxisme, découragement...).
Il peut être intéressant d’établir un plan de l’habitation pour déterminer avec l’aide des propriétaires les zones stratégiques. Celui-ci permet de discuter concrètement des éléments de la thérapie comportementale.
Léon est un labrador mâle, âgé de deux ans, et présenté à la consultation pour malpropreté et destructions, lorsqu’il se retrouve seul dans l’habitation. Ces troubles du comportement sont apparus il y a un peu plus d’un an et tendent à s’aggraver. Depuis six mois, il suit des cours d’éducation canine (marche en laisse et rappel).
On utilise pour la description du comportement du chien, les différents types décrits dans la partie "symptômes des sociopathies".
Comportements centripètes
En ce qui concerne l’alimentation, deux repas sont servis chaque jour avant ou après le repas de ses maîtresses. Le gros appétit qu’il avait quand il était jeune, est devenu plus capricieux. Il préfère manger en présence de la fille, mais ne finit pas pour autant sa ration, c’est pourquoi sa gamelle est laissée à disposition en permanence. Parfois, il emmène quelques croquettes sur le tapis de la salle principale. Il est capable de voler de la nourriture laissée sur le buffet de la cuisine et grogne si on veut lui reprendre.
Le chien présente de nombreux signes d’élimination sociale. Il n’a jamais été totalement propre, mais, avant l’âge de six mois, il s’agissait plutôt de flaques d’urine déposées dans le coin de la cuisine. Depuis l’âge d’un an, il lui arrive de déposer des selles au milieu de la salle principale, la nuit. Lorsqu’il urine dans le jardin, il lève toujours la patte en grognant.
Pour ce qui est du couchage nocturne, quelques pièces sont interdites au chien, dont la chambre de la propriétaire. Depuis l’âge de 7-8 mois, il dort dans l’escalier, devant la porte de sa maîtresse ou sur le pallier, bien que sa couche soit dans la salle principale. Pendant la journée, il se couche généralement dans son panier qui est situé dans cette pièce ou sur le perron, endroits stratégiques à haute valeur hiérarchique. Il est fréquent de le déranger pour passer d’une pièce à une autre, pour sortir de la maison ou monter à l’étage.
Comportements centrifuges
Quant aux comportements d’agression, il n’a jamais mordu personne. En revanche, il grogne quand on le dérange dans l’escalier, si on lui essuie les pattes antérieures lorsqu’il pleut, si on veut lui reprendre de la nourriture volée, ou parfois, quand on le contrarie. Il aboie de plus en plus en voiture et dans le jardin sur les passants. Il accueille assez brutalement les visiteurs : il a beau être renvoyé dans sa couche, il revient de plus belle.
Les destructions sont sporadiques, mais elles ont toujours lieu lorsque la propriétaire s’est absentée plus longtemps qu’à l’habitude ou lors de sorties imprévues. Ces déprédations sont systématiquement centrées autour des portes.
En promenade, auparavant le chien n’était pas tenu en laisse, car il restait toujours auprès de sa maîtresse, mais depuis plusieurs mois il a tendance à fuir et n’obéit plus au rappel. Dorénavant, il est toujours promené attaché. Il prend généralement l’initiative des jeux et des caresses. Pendant les jeux, il s’arrête spontanément de jouer et aucune excitation exagérée n’est notée.
Comportements mixtes
Le chien à tendance à chevaucher la jambe de sa maîtresse, surtout quand il y a d’autres personnes dans la pièce, mais il n’éjacule pas. Il paraît sensible aux chaleurs des chiennes. Il joue avec certains chiens, mais peut parfois se montrer agressif envers d’autres, souvent des mâles.
Pour l’alimentation, le ou les repas sont distribués après le repas des maîtres. Le chien mange seul et dix minutes plus tard la gamelle est retirée, que le chien ait terminé ou non. Il peut assister au repas de ses maîtres, mais ne doit pas les déranger, et encore moins obtenir de la nourriture.
La couche est installée dans le coin d’une pièce, loin de la porte et au sol. On ne tolère pas que le chien soit assis ou couché dans un endroit de passage, ou en hauteur. On n’enjambe jamais le chien, mais on le renvoie systématiquement dans son panier.
En ce qui concerne l’initiative des contacts, on repousse le chien lorsque c’est lui qui les sollicite. En revanche, on l’appelle très souvent pour le caresser ou jouer (on ne va pas le chercher s’il ne vient pas).
Dans le cas présent les propriétaires n’ont pas désiré de médicaments, et le pronostic était favorable. Les prérogatives de dominance pouvaient être facilement retirées au chien et les nuisances, peu fréquentes, supportées par les propriétaires. Toutefois la chimiothérapie permet une mise en place plus aisée et plus rapide de la thérapie comportementale.
Ce cas clinique permet de retenir trois éléments. D’une part, un chien très proche de sa propriétaire et qui détruit en son absence ne souffre pas toujours d’hyperattachement. D’autre part, un chien sociopathe ne mord pas obligatoirement. Enfin, la prescription d’une thérapie comportementale, associée ou non à une chimiothérapie, est indispensable.
De plus en plus de problèmes de comportement du chien sont pris en compte en tant que tels par les vétérinaires. L'école nationale vétérinaire de Lyon, à la suite de celle de Maison Alfort ouvrira en septembre 98 une consultation en comportement. Dans notre société occidentale, les relations homme-chien subissent depuis quelques années une mutation : le chien est sorti de son rôle d'animal domestique pour être placé dans une position de remplacement d'individu humain. Cette redéfinition de son statut du chien ouvre la voie à de nombreux problèmes dont les sociopathies sont le reflet.
Le chien, animal issu de la sélection naturelle puis de la domestication, n'est pas adapté pour la place affective qui lui est de plus en plus attribuée. C'est pourquoi les vétérinaires doivent prendre en compte toute une partie de la psychologie des maîtres pour parvenir à traiter les sociopathies. De ce fait, il nous a été difficile d'assister à une consultation, le rapport vétérinaire-maître pouvant presque être comparé au rapport psychologue-patient. Les vétérinaires doivent être très attentifs lors des problèmes de comportement. En effet, un chien au stade réactionnel mal traité pourra passer au stade d'hyperagressivité secondaire et être dangereux pour l'entourage et les passants.
Ce sujet nous a permis de voir les chiens sous un autre angle en comprenant les règles de vie et de communication qui gouvernaient leurs comportements. De plus, nous avons pu comprendre les différences entre l'éducation canine et le dressage qui n'utilisent pas les mêmes mécanismes.
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Dernière modification : 02 Mai 2008